60km à l’assaut d’Hollr Gata, dit Houlgate

On raconte qu’en l’an 1066 Guillaume le Conquérant, bloqué au passage du « Mauvais Pas » par un soir de mauvais temps, trouva refuge au manoir de Beuzeval, où l’un des premiers seigneurs de ces landes l’accueillit, Pierre de Sinville. Ensemble ils guerroyèrent bientôt en Angleterre, mais le seigneur y laissa sans briller la vie à la bataille d’Hastings. C’est au compagnon Jean d’Aché que fief estroît alors si bien remis qu’il restoît durant des siècles en lignage dynastique.

Après nombre de hauts faits d’histoire et d’ententes nobiliaires, conflits d’églises et d’état, le littoral du Pays d’Auge assiste progressivement à l’explosion du tourisme thérapeutique. On est en 1850, la rayonnante Albion a rendu la monnaie de sa pièce : Charles Russell a commis « Les effets des bains de mer sur les glandes » depuis un bon siècle, les établissements de bains éclosent spontanément sur la Côte Fleurie, la mode est à l’air marin et au sel malin. Non, à l’air salin et au sel marin. Non…

Houlgate (nom de la colline Nord-Est du fief maritime devenu Beuzeval-les-Bains) est créée de toutes pièces vers 1860, Grand Hôtel, nouvelle chapelle, casino, myriades de chalets, si proche de sa voisine balnéaire. L’arrivée du chemin de fer en 1882 et de sa gare construite entre les deux hameaux, achève de rendre accessible et sûr le passage du Mauvais Pas, reliant par route et rails Cabourg au nouveau conglomérat. En 1898, la commune devient Houlgate-Beuzeval, puis Houlgate en 1905.

Boudin, L’heure du bain à Deauville, 1864

Quand je m’élance, ce dimanche 2014, ce n’est pas que l’appel de la Manche se fasse vraiment ressentir. J’ai ouï-dire que mon grand-père bientôt centenaire fut envoyé très jeune en cure thermale, et, avec ma psychologie de jeune nomade, je l’imagine tel Hans Castorp sur sa montagne magique, ou en contemplateur introverti à « Balbec ». Un temps qui me parait loin et irréel. Mais qui sait si ces quelques mois de contemplation léthargique au grand air n’ont pas conféré au solide vieillard sa longévité séculaire ! C’est donc en songeant à lui, à Proust et à Mann que je me rue sur le pédicycle, direction Houlgate la récente.

Bientôt, oxygène et oisiveté font défaut à mon cerveau de bipède, oubliant littérature et rêveries, je me concentre sur l’essentiel, l’activation régulière de mes muscles. J’ai décidé de profiter de cette longue sortie pour tester mon nouvel équipement : des chaussures de trail, un maillot respirant, un coupe-vent déperlant. Les baskets de running jusque-là utilisées étaient lisses et usées, et le passage en terrain humide, feuillu, ou gravilloneux tournait vite à la perte d’énergie. L’autre jour, impatiente à l’idée de bondir sans difficulté sur les chemins de traverse, je suis déjà partie mettre les semelles à l’épreuve. J’ai cherché délibéremment des terres défavorables, et je suis rentrée plutôt satisfaite. Mais aujourd’hui, c’est leur endurance et leur tenue au pied que je vais éprouver.

Les premiers kilomètres jusqu’à Salenelles sont vite avalés, j’apprécie comme en voyage les décors qui se succèdent.

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Je double un randonneur décidé, remarquant son lourd sac, son tapis, sa petite canne où il a fixé quelques plumes de canard. Je suppute sans difficulté qu’il marche depuis longtemps et avec habitude. Ce qu’il me confirme quelques mètres plus loin, à l’occasion d’une pause et d’une petite discussion avec des passants, car il finit un pèlerinage, et arrive d’Angleterre par ferry pour se rendre à Lisieux.

Aussi inexact que cela puisse sembler à l’éthologue chevronné, l’anarchie sociale des bovins est symétriquement égale à la rigueur d’escadron des palmipèdes…

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C’est une piste cyclable rugueuse et tapissée de feuille qui m’emmène sur 5km de Salenelles à Merville-Franceville et s’éloigne progressivement du littoral. Cherchant quand même à rester au plus près de la mer, je traverse la commune à la recherche d’une piste de bord de plage, comme il en existe entre Ouistreham et Luc-sur-Mer. Mais je suis rapidement bloquée, face à la Manche et la charmante cahute rayée qui est plantée là, parfaits points de capiton du fantasme touristique régional et romanesque, sans autre solution que de repartir sur la D514 vers Cabourg.

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Celle-ci est suffisamment large, je la préfère aux petits trottoirs balisés, et  j’en profite pour m’accoutumer à pousser sur les routes partagées, à conserver au mieux la trajectoire rectiligne au changement de pied, en milieu hostile. La longue Avenue du Président René Coty est bordée de terrains aménagés, d’auberges, de golfs aux pelouses parfaitement taillées où s’agitent d’élégants vacanciers au swing de quinquagénaires distraits.

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A nouveau je tente un rapprochement stratégique du bord de mer, mais me retrouve bloquée, face au sable.

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Qu’à cela ne tienne, je traverse Cabourg par le centre puis remonte et m’engage sans complexe sur la promenade Marcel Proust !

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Comblée de profiter enfin directement des embruns, je roule gaiement, attentive à naviguer correctement dans la foule qui se densifie. Plus j’avance, plus un nombre important de promeneurs semble avoir décidé de se dégourdir les pattes, la silhouette du Grand Hôtel se précise, tout autant que les regards méfiants ou réprobateurs, sur l’enfilade où les vélos sont signalétiquement autorisés, psychologiquement honnis.

« C’est interdit aux vélos ici !

– Mais ce n’est pas un vélo !

Grmmpf »

Par courtoisie, parce que je sens que le pouvoir de séduction du pédicycle s’est soudainement inversé, et, préférant laisser piétons et canidés à leur bol d’air frais, je passe l’ensemble balnéaire de la Belle Epoque par la rue.

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Sur quelques dizaines de mètres en roulant, j’étudie l’architecture typique des lieux. J’avise alors que sur la promenade la foule s’est soudainement dispersée, et m’interroge vaguement sur une théorie justifiant d’une concentration numérique si volatile aux abords d’édifices patrimoniaux, ce pourrait bien être une parfaite illustration de la loi d’entropie de Carnot, mais avec réversibilité temporelle ! Plus on remonte vers un lieu chargé en énergie historique, plus la densité des particules humaines en circonvolution augmente, et vice-versa. Je n’ai pas le loisir de trouver son équivalent sociologique, car je suis déjà lancée sur la voie maintenant libre qui semble me mener droit vers… Houlgate. Eprise de ma soudaine liberté d’action, je continue droit devant, enthousiaste à l’idée de longer d’aussi près la mer jusqu’à ma destination, m’engageant sur un étroit chemin de sable.

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Ravie de varier le périple, du sable poreux et meuble, la roue arrière chasse régulièrement sur le côté, j’expérimente avec joie un petit instant de course sauvage ! Qui s’allonge, je dois souvent descendre et courir en tenant le guidon. Puis remonter, grimper le long des dunes.  Je fais alors un écart directement sur la plage, je pense que le sable humide soutiendra mieux le poids de la trottinette géante, et ce serait génial de kicker dans l’eau.

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Mal m’en prend, car je m’enfonce mollement dans le sédiment mouillé, les roues s’en charge sur deux ou trois centimètres d’épaisseur, et j’ai vite fait d’interrompre le geste ridicule de pédaler sans pédale, sans selle et sans avancer. Je remonte sur les dunes, à travers rochers, ronces et végétations, les 10 kilos d’acier à bout de bras, toujours à un bon rythme, en trottant, j’ai la forme, j’aime bien ce petit biathlon. C’est vallonné et piégeux, fait de chemins creux, « Hollr Gata » disent les scandinaves, mais Houlgate en ligne de mire me fait oublier que je m’égratigne mains et chevilles, ramasse quantité de branchages par inadvertance, malmène le pédicycle, commence à suer à grosses gouttes. J’arrive en fin de courbe et m’apprête à rejoindre la voie de chemin de fer qui atteint le hameau en son centre.

Surprise ! Je m’enfonce depuis tout à l’heure sur un bras de terre isolé des falaises, à marée haute. Je contemple, empirique, la mer qui encercle mon point de vue, à droite, devant, à gauche. Et je réalise soudainement que je me tiens là, sur la pointe de Cabourg, interdite, face au passage du « Mauvais Pas » ! La voie ferrée, la route derrière, tout y est, la butte de Caumont, j’imagine sans peine les difficultés par temps fort et le soir, lorsqu’arceaux de fer cloutés, murets savamment enchâssés ne maintenaient pas encore le passage à flanc de colline et de mer en l’état.

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Après quelques instants passés à scruter en rond, à étudier très rapidement mais sérieusement la possibilité de traverser directement, je me résouds à faire demi-tour. Il me faut revenir à Cabourg, visiblement je paie le tribut du cycliste enragé qui roule sans prendre garde. J’attrape un joli pont de bois et de fer sur la gauche, et, après 3km de route partagée, me voici à Hollr Gata !

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Les lieux sont moins fréquentés qu’à « Barbec ». Humant le vent chargé de limon, de mousson, j’avise un petit banc en bout de promenade, et décide d’y faire un arrêt déjeuner. L’endroit est paisible, j’ai vite fait de récupérer mon souffle, et d’attaquer pain, tomates et pomme. J’enfile mon coupe-vent, mais je refroidis à vue d’oeil, et ne tarde pas à constater que mon haut respirant est tout de même trempé, que je frissone. Prévoir donc de pouvoir se changer en cours de route ! Je fais quelques étirements, me ragaillardis l’esprit en m’imprégnant lentement du paysage, de l’ambiance. Je ne veux pas trop traîner, car je crains l’arrêt fatidique pour les jambes, la machine à remettre en route après une demi-heure d’inactivité…

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Après avoir fait remplir mon bidon au restaurant du coin, je repars, dans l’expectative. Je vais cette fois aller dans les terres, et faire une boucle pour rentrer à Caen. Il faut trouver de petites routes ou chemins praticables, et se remettre dans le bon rythme d’effort.

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Mais bien vite me voilà coincée sur une départementale fréquentée, légèrement en pente ascendante. C’est dur, je réalise que l’épisode des dunes m’a vidée, j’ai du mal à trouver des ressources sur ce bitume dangereux, et je guette les voitures qui me doublent avec inquiétude.

Je m’arrête régulièrement, fais quelques pas en poussant le pédicycle à côté, tente de retrouver dans l’espace de verdure un peu de beauté motivante. J’arrive finalement à quitter cet axe, et le plaisir de rouler à nouveau libre de mes mouvements me fait avancer un peu mieux. La vue est splendide, c’est la campagne, telle qu’elle est et vit depuis très longtemps.

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Le reste du périple fut une suite vallonnée qui mit mes forces à rude épreuve. Un faux-rythme s’était installé, et je passais mon temps à marcher, à remonter, à m’interroger intérieurement. Je m’hydratais régulièrement et mangeais quelques fruits sucrés, mais, ce fut la leçon de cette sortie, j’avais sollicitée beaucoup trop d’énergie et de façon irrégulière en milieu de parcours, sans avoir réellement de carburant en réserve, et, dans les derniers kilomètres, je me retrouvai complètement à plat.

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Bilan :

– rouler avec régularité si l’on veut aller loin, et prévoir de quoi alimenter les muscles après les gros moments de dépense

– une chose dont on ne peut se fatiguer en footbike, c’est que l’on peut s’étirer en roulant !

– j’ai trouvé le bon rythme du saut de pied en montée, il fallait ajouter un « demi-temps » au changement gauche, celui de l’impulsion d’envol

– je trouve plus difficile de revenir à destination mentalement que d’avancer vers la prochaine étape

– la Normandie est travaillée sur les bords par un temps historique, industriel, touristique. Dans les terres, elle semble plus immobile.

Stay tuned !

 

16 (Thanks, keep going !)

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